
Au Journal officiel du 15 octobre 2025, le Contrôleur général a publié un avis relatif à la vétusté des établissements pénitentiaires. Cet avis a été transmis le 12 mai 2025 au ministre de la justice, ses observations en réponse sont également publiées au Journal officiel. Voir aussi le cahier photos
Suite à la ratification du protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines et traitement cruels, inhumains et dégradants adopté par l’assemblée générale des Nations-Unis le 18 décembre 2002, le législateur français a institué, avec retard, par la loi n°2007- 1545 du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté et lui a conféré le statut d’autorité administrative indépendante.
Le Contrôleur général veille à ce que les personnes privées de liberté soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
« Dans le cadre de sa mission, le CGLPL constate, de manière récurrente, la vétusté préoccupante de nombreux établissements pénitentiaires. Il observe que l’ancienneté des bâtiments, les carences de leur entretien, ainsi que l’inefficacité ou la lenteur des réponses apportées par l’administration, concourent à maintenir un très grand nombre de personnes détenues dans des conditions indignes, attentatoires à leurs droits fondamentaux. Loin d’être isolés, ces constats témoignent d’un dysfonctionnement structurel de grande ampleur, qui affecte aussi gravement les conditions de travail du personnel pénitentiaire. Le CGLPL entend alerter sur les conséquences directes de la vétusté des établissements sur la sécurité, la santé, la dignité et l’intimité des personnes privées de liberté, et sur l’urgence d’apporter à cette situation une réponse à la hauteur des enjeux.
De nombreux établissements sont vétustes
La vétusté des établissements résulte souvent de l’ancienneté des infrastructures. A ce jour encore, de nombreuses maisons d’arrêt sont installées dans des bâtiments du XIXᵉ siècle. Le fonctionnement continu de ces structures depuis des décennies, associé à de graves insuffisances dans leur maintenance, a inévitablement entraîné leur extrême dégradation. Cette situation n’est cependant pas exclusivement imputable à l’ancienneté des bâtiments : les visites du CGLPL relèvent l’état de dégradation et d’insalubrité avancée dont pâtissent également certains établissements pourtant installés dans des locaux récents, souvent en raison de malfaçons dans le projet de construction.
Outre la détérioration du bâti et de certains équipements, nombre d’établissements pénitentiaires pâtissent de dysfonctionnements affectant des dispositifs essentiels tels que les circuits de chauffage et de ventilation ou les installations électriques, souvent largement défaillants.
Le délabrement des infrastructures compromet directement la sécurité et l’intégrité physique des détenus. Le mobilier des cellules est souvent insuffisant au regard du nombre d’occupants et inadapté, voire détérioré, ce qui augmente les risques d’accidents. L’isolation défaillante, fréquemment associée à l’impossibilité de fermer les fenêtres, expose les détenus à des températures extrêmes, en hiver comme en période de canicule. Le danger réside aussi dans les risques inhérents à la dégradation du bâti, exacerbés par un manque global de maintenance : les sols glissants, les murs fissurés, les revêtements dégradés et potentiellement toxiques ou les huisseries fragilisées transforment les espaces de vie en terrains propices aux blessures.
L’insalubrité est aggravée par la prolifération de nuisibles tels que les cafards, les rats et les punaises de lit. Les difficultés rencontrées par l’administration pour combattre ces invasions sont souvent directement liées à l’ancienneté, à la dégradation des bâtiments et à la surpopulation qui rendent vains les traitements. Dans les nombreux établissements qui ne disposent pas de douche en cellule, l’insalubrité des douches collectives favorise la prolifération de bactéries et champignons.
La vétusté aggrave les conséquences de la surpopulation carcérale
Dans des établissements gravement surpeuplés, la fermeture de cellules ou d’ailes entières rendue nécessaire par les travaux de rénovation ou de maintenance augmente inévitablement la pression sur les autres secteurs de la détention. Or certains des établissements concernés au premier chef par les risques liés à la dégradation du bâti sont précisément ceux dont les taux d’occupation sont les plus élevés.
Dans ces conditions, la moindre fermeture de cellule pour travaux a des conséquences immédiates sur le reste de la détention. Il en résulte que la difficulté – voire l’impossibilité – de libérer des cellules insalubres pour y procéder à des travaux est souvent invoquée par l’administration pénitentiaire pour justifier les insuffisances dans la maintenance des locaux.
Dans un mouvement inverse, la surpopulation en constante aggravation participe directement de la dégradation de locaux déjà vétustes. S’ensuit un cercle vicieux dans lequel l’occupation par trois ou quatre détenus de cellules prévues pour une seule personne accélère l’usure des équipements et infrastructures, qui aggrave en retour des conditions d’incarcération.
La vétusté impacte le maintien des liens familiaux
Le droit des détenus au maintien des liens familiaux est directement impacté, dans certains établissements, par l’état déplorable et inadapté des espaces accueillant les parloirs. L’exercice effectif de ce droit se heurte à des obstacles matériels que de simples travaux résoudraient rapidement.
Le fait de garantir aux détenus l’accès à du temps passé avec leurs proches, dans des conditions matérielles qui n’emportent ni frustrations ni humiliations, constitue un enjeu majeur pour la sérénité de la détention en général. A l’inverse, les conditions dégradées d’accueil des familles de détenus, lorsqu’elles sont susceptibles de conduire certains d’entre eux à renoncer purement et simplement aux parloirs, sont des facteurs de tension évidents.
Malgré des alertes répétées, la vétusté persiste
L’inertie persistante de l’Etat face à la vétusté des établissements pénitentiaires contribue de manière significative à l’aggravation des conditions de détention. Depuis 2020, six établissements pénitentiaires visités par le CGLPL ont fait l’objet de recommandations en urgence, notamment en raison de l’indignité des conditions matérielles de détention. Trente-cinq rapports de visites réalisées de 2020 à 2024 ont mis en exergue la vétusté d’établissements pénitentiaires. Plusieurs de ces derniers faisaient alors l’objet d’un deuxième, voire d’un troisième contrôle du CGLPL, contraint de constater la dégradation des infrastructures et l’aggravation des dysfonctionnements induits par l’indignité des conditions matérielles d’hébergement.
Les travaux réalisés sont tardifs et insuffisants
Lors de ses visites d’établissement pénitentiaires notoirement vétustes, le CGLPL est fréquemment informé de plans de restructuration, plus ou moins anciens et programmés à plus ou moins court terme. Or si la mise en œuvre de ces projets ne relève généralement pas des établissements concernés, leur seule perspective justifie souvent une forme d’inertie face à des difficultés qui impactent directement la vie quotidienne dans les lieux concernés : on n’engage pas de travaux de réparation ou de maintenance, car sous peu tout sera rénové, reconstruit.
L’absence de gestion à court terme et d’anticipation concernant l’entretien et la réhabilitation des infrastructures existantes conduit aujourd’hui à des situations intolérables. Les détenus et le personnel sont maintenus dans un environnement indigne sans autre solution que celle d’attendre la réalisation d’un plan de restructuration ou qu’un nouvel établissement soit construit, avec toute l’incertitude entourant ce type de projet immobilier.
Aux conséquences catastrophiques de ces situations s’ajoutent les effets de la surpopulation carcérale, qui accélère la dégradation du bâti et fait obstacle à des travaux d’envergure, pourtant indispensables à toute amélioration des conditions de détention et de travail. Ainsi le CGLPL a-t-il pu constater, dans plusieurs établissements pénitentiaires, l’interruption ou le report de travaux de rénovation engagés ou programmés, en raison de la surpopulation carcérale. »